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AN =  La compréhension d’une phrase.

27 février 2018
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Faustin Mounguengui,
Jacques Mbadinga,
&
Thierry Wilfried Mombo,
Université Omar Bongo,
Gabon

Lire le résumé


Comprendre un texte, c’est être capable de construire une représentation cohérente de son contenu (J.-P. Rossi, 2008 ; N. Blanc, D. Brouillet, 2005 ; B. Marin, D. Legros, 2005). Quels sont les processus qui déterminent cette construction ? Comment le sens en est-il extrait ? Pour répondre à ces questions, plusieurs recherches (J. François, G. Denhière, 1997 ; N. Blanc, D. Brouillet, 2003 ; N. Blanc, D. Brouillet, op. cit. ; B. Marin, D. Legros, op. cit. ; G. Denhière, S. Baudet, 1992) sont menées pour décrire le plus précisément possible l’ensemble des procédures mentales.

Selon C. Tamas et M. Vlad (2010), l’approche cognitive de la lecture est un champ très productif en matière de recherches, mais qui paraît en même temps très singulier à l’intérieur des autres approches de la lecture, en raison notamment de ses méthodes et techniques expérimentales qui reposent sur des protocoles complexes. Nous concernant, il s’agit de reconnaitre que le contexte dans lequel s’effectue la lecture d’un mot permet de résoudre de multiples problèmes d’interprétation. La psychologie cognitive accorde un intérêt particulier au processus de compréhension de texte qui anime la présente étude, car comprendre un texte, c’est accéder au sens des phrases (N. Blanc, D. Brouillet, op. cit.). Toutefois, chercher à expliquer les processus sous-jacents un comportement, comme la lecture, c’est essayer de valider un modèle. Pour cela, P. N. Johnson-Laird (1983) souligne que la construction de modèles de fonctionnement de l’esprit est le but de la recherche.

Sachant que la situation de lecture est complexe en ce qu’elle intègre en plus du lecteur, le texte et le contexte (J. Giasson, 1996, 2005), l’objectif de cet article est de tester l’influence du contexte sur la compréhension d’une phrase. Autrement dit, la question est celle de savoir à quel moment le contexte dans lequel est présenté un mot exerce-t-il une influence sur l’accès au sens ? La compréhension de textes est une dynamique, qui commence avec le mot, puis la phrase et le texte ; c’est pourquoi, dans cette étude, la compréhension de textes renvoie à la compréhension des phrases et à celle des mots cibles qui sont présentés.


1. Aspects théoriques et objectifs de l’étude
1.1. Compréhension de textes
Pour comprendre et définir la compréhension de textes, il convient au préalable de répondre aux questions posées par H. Chaudet et L. Pellegrin (1998) lorsqu’ils s’interrogent sur ce que signifie comprendre le langage en précisant qu’il est question du langage écrit.

La compréhension de textes est effectivement une activité cognitive très complexe. L’étudier, consiste à s’intéresser aux représentations cognitives, aux procédures et mécanismes que l’individu met en œuvre lorsqu’il est engagé dans ce type d’activité (N. Blanc, D. Brouillet, 2003). Selon N. Blanc (2006), la notion de représentation est au cœur de toute tentative de modélisation de l’activité cognitive de compréhension de textes. Pour désigner cette représentation, l’une des appellations les plus utilisées est celle de « modèle de situation » mise en évidence par T. A. Van Dijk et W. Kintsch (1983). Dans cette optique, comprendre un texte suppose que le lecteur soit capable, au fur et à mesure qu’il entend ou lit des mots puis des phrases, de construire une représentation cohérente et unifiée des informations délivrées par le texte. En outre, en compréhension de textes, les connaissances des lecteurs sont un facteur important dans l’élaboration d’une représentation (F. Mounguengui, 2010 ; J.-P. Rossi, 1991 ; H. Tardieu, M. F. Ehrlich, Gyselinck, 1992). D’ailleurs, la théorie minimaliste développée par G. McKoon et R. Ratcliff (1992), suggère que le processus de compréhension combine l’information provenant de deux sources : celle liée aux informations explicites du texte et celle relative aux connaissances générales du lecteur. Par ailleurs, si pour J. Giasson (op. cit.), la situation de lecture met en jeu trois types de variables, à savoir le texte, le lecteur et le contexte ; le rôle du facteur contexte dans la compréhension d’une phrase est et reste encore mal connu.


1.2. Le contexte de lecture
Selon J. Giasson (ibidem.), le contexte comprend toutes les conditions dans lesquelles se trouve le lecteur lorsqu’il entre en contact avec le texte. Cela renvoie donc aux structures cognitives de l’individu (le lecteur) et les différents processus, c’est-à-dire les différentes opérations mentales dans lesquelles il s’engage pour comprendre les mots, les phrases, le texte. Ces conditions incluent celles que le lecteur se fixe lui-même et celles fixées par le milieu au lecteur. On parle de contextes psychologique, social et physique.

D’abord, il faut souligner que de nombreux auteurs se sont déjà intéressés à l’effet de la variable contexte. C’est le cas notamment de M. A. Gernsbacher, K. R. Varner et M. E. Faust (1990) ; de M. E. Faust, D. A. Balota, J. M. Duchek, M. A. Gernsbacher et S. Smith (1997) ; de A. Syssau, D. Brouillet, S. Gröen (2000) qui ont mis en évidence le fait que selon les lecteurs (Bons ou mauvais ; jeunes ou âgés), la sélection du sens adéquat dépendait du contexte.

Pour G. Kellas, S. T. Paul et H. Vu (1995), le contexte est un facteur essentiel, dans la mesure où pour ces derniers, son rôle dans la sélection du sens dépend largement de la façon dont on se représente l’architecture du langage. A ce sujet, deux conceptions modulariste et interactionniste s’opposent sans qu’on puisse encore les départager définitivement dans l’état actuel des connaissances. Cette opposition serait donc en rapport avec le fait que pour les modularistes, le contexte n’influencerait pas le sens du mot parce que celui-ci est déterminé par des structures spécifiques ; alors que les interactionnistes, sans renier les structures spécifiques, précisent que le sens émerge du fait que ces dernières puissent s’ouvrir (interaction) à d’autres systèmes. La question à l’origine de ces deux théories est de savoir à quel moment le contexte dans lequel est présenté le mot « ambigu » exerce une influence sur l’accès au sens. Ainsi, sur quoi la théorie modulariste (J. Foder, 1983) et la théorie interactionniste (McClelland cité par J. François, G. Denhière, op. cit.) se basent-elles vraiment ?


1.2.1. La théorie modulariste
L’hypothèse moduraliste de l’architecture cognitive postule que les processus initiaux engagés dans la compréhension du langage s’exécutent lors de systèmes de traitement perceptif indépendants dits « modules », non accessibles par rapport aux systèmes centraux (J. Fodor, 1983 ; M. Foster, 1997). L’activité d’un module s’exerce dès lors automatiquement de telle sorte qu’elle est totalement tournée vers l’information recueillie du monde physique (J. Fodor, op. cit. ; M. Foster, op. cit. ; J. François et G. Denhière, op. cit.). Ainsi, l’individu ne peut s’engager dans des activités de type stratégique et encore moins mobiliser des ressources attentionnelles. A ce titre, les modules sont exclusifs au traitement de type spécifique d’informations (J. François, G. Denhière, idem). Dans le cadre du langage, les modules sont définis selon le type d’informations à traiter : phonétique, phonologique, graphémique, orthographique, syntaxique ou sémantique (H. Chaudet, L. Pellegrin, op. cit.). Les modules sont, non seulement indépendants des processus centraux, mais aussi indépendants les uns par rapport aux autres. Dans l’activité cognitive, ils sont imperméables, un module peut dans son activité se servir des produits de sortie d’un autre module sans pour autant intervenir sur son activité. De ce fait, le traitement de l’information symbolique est ainsi dirigé par les données (J. François, G. Denhière, op. cit.). Cette approche a été validée par de nombreux travaux, notamment ceux de D. Swinney (1979), de R. E. Till, E. F. Mross et W. Kintsch (1988).

La thèse défendue par Fodor (op. cit.) est simple. Pour ce dernier, le cerveau ne fonctionne pas comme un tout. Il serait composé de petits programmes spécialisés réalisés par des aires spécifiques : les aires visuelles, du langage, de la motricité, de la mémoire. Par ailleurs, cette théorie a permis à sa façon de réhabiliter la théorie des « facultés mentales » du XIXe siècle. Selon cette approche, il faudrait s’attendre à ce que le contexte dans lequel est présenté un mot n’exerce pas d’influence sur le sens de ce dernier. Le mot « ambigu » devrait conserver son ambiguïté, du moins pendant un temps. Il existerait un accès exhaustif à l’ensemble des sens qui lui sont associés.


1.2.2. La théorie interactionniste
L’hypothèse interactionniste de l’architecture cognitive soutient que les systèmes spécialisés de traitement des informations spécifiques sont à même de prendre en compte à tout moment des informations livrées par d’autres systèmes, périphériques et centraux (P. N. Johnson-Laird, op. cit. ; Rumelhart, McClelland cités par J. François, G. Denhière, op. cit.). Les différents niveaux de traitement interagissent librement. Dès lors, les informations lexicales agissent sur la perception des phonèmes, celles sémantiques agissent sur le calcul syntaxique. Le traitement de l’information symbolique est donc à la fois ascendant et descendant. De nombreux travaux ont également permis de valider l’hypothèse interactionniste (P. Tabossi, L. Colombo, R. Job, 1987 ; P. Tabossi, F. Zardon, 1993).

En résumé, selon cette approche, il faut s’attendre à ce que le sens approprié au contexte soit immédiatement sélectionné. Au regard du contexte, le mot « ambigu » n’est pas ambigu. Il existe un accès sélectif au sens qui lui est associé.


1.2.3. Quelques expériences liées à ces hypothèses théoriques
La pertinence et la véracité des modèles théoriques tiennent au motif de leur confrontation à la réalité. De ce fait, quelques résultats expérimentaux liés aux théories sus-citées vont être présentés (J. François, G. Denhière, op. cit.).

Les expériences faites par J. François et G. Denhière (op. cit.) avaient pour matériel des mots cibles et des phrases expérimentales construites autour de ces mots cibles et dans des contextes différents (Fort ou faible ; approprié ou inapproprié). La tâche des participants était de lire les phrases expérimentales et de dire le sens qu’ils donnaient au mot cible qui leur était présenté selon ce qu’ils avaient lu. Ainsi, certaines objections avaient été faites par D. Swinney en 1979. En effet, l’hypothèse était liée à l’accès exhaustif à la signification d’un mot ou une phrase indépendamment du contexte. Les deux principales critiques sont d’ordre méthodologique et sont en rapport avec les interrogations suivantes :

a) La phrase contexte joue-t-elle un rôle en tant que telle ? Autrement dit, le contexte est-il réellement phrastique ?
b) Dans le cas d’un réel contexte phrastique, n’y a-t-il pas dans celui-ci certains mots associés au mot cible ?

La première objection est recevable quand on analyse le paradigme expérimental mis au point par D. Swinney (1979). L’exemple expérimental est le suivant :

« Le bruit courait, depuis des années, que le siège du gouvernement n’avait fait que poser des problèmes. L’homme ne fut donc pas surpris lorsqu’il trouva ….

  1. « bugs » (mot anglais ayant plusieurs acceptions, au moins deux : insecte ou microphone clandestin) …
  2. insectes…
  3. araignées, cafards, et d’autres bugs …
  4. araignées, cafards, et d’autres insectes ...
    … dans le coin de la pièce »
    . Les mots cibles étaient fourmi, espion et couture (mot neutre).

Dans ce sens, dans quelle mesure le contexte « phrastique », constitue-t-il un facteur expérimental ? La phrase encadrant de gauche à droite le mot cible est invariable dans les quatre conditions. En d’autres termes, rien que les mots clés varient selon chaque condition. Dès lors, sur le plan formel cette expérience serait analogue à la présentation simplifiée du contexte, c’est-à-dire une amorce isolée ou précédée par deux autres mots.

La deuxième objection tient au fait que même si le mot amorce suivi d’un mot cible termine une phrase contexte, il faut tant bien que mal se garder d’y introduire des mots qui entretiennent des liens d’associations avec le mot cible, au risque que l’amorçage de la cible provienne désormais directement du contexte et non plus de l’amorce. Or, force est de constater que le contrôle de ce facteur n’est généralement pas évident dans plusieurs expériences. Pour cela, suite aux travaux de P. Tabossi (op. cit.), réalise une série d’expériences dans lesquelles il utilise au même titre que son prédécesseur des mots qui désignent des propriétés dont le sens est accessible par les mots-amorce identifiés comme mots-cible. L’exemple cité ici est le suivant :

« Contexte pauvre approprié, propriété dominante :
Les enfants font rouler la pomme …………………………… Cible : Rond
Contexte pauvre approprié, propriété secondaire :
L’enfant grimace en croquant la pomme …………………… Cible : Acide
Contexte pauvre inapproprié, propriété dominante :
L’enfant grimace en croquant la pomme …………………… Cible : Rond
Contexte pauvre inapproprié, propriété secondaire :
Les enfants font rouler la pomme ………………………… Cible : Acide ».

Tout se passe comme si les propriétés dominantes des concepts constituaient une sorte de noyau définitionnel stable en mémoire et de ce fait, serait insensible aux variations contextuelles d’occurrence.


1.3. Problématique
Pour rappel, la situation de lecture comprend le lecteur, le texte et le contexte (J. Giasson, op. cit.). La mise en relation des composantes de cette situation de lecture semble rendre la compréhension difficile. La difficulté est en rapport avec le sens qu’il convient d’attribuer à ce qui est lu, mettant souvent le lecteur dans une incertitude. Cette incertitude renverrait ici au fait que le sens ne se trouverait pas dans les mots mais se construirait selon les lecteurs et les situations. S’agissant du contexte, certes deux conceptions s’opposent quant au rôle de celui-ci dans la sélection du sens, il faut cependant noter que l’utilisation des mots ambigus est devenue le moyen de prédilection pour évaluer la pertinence de ces deux différentes approches.

Ainsi, puisque le contexte constitue une variable tout aussi importante que les autres, notre objectif pour cette étude réside dans la capacité du lecteur à construire et à sélectionner le sens « contextuellement » pertinent pour comprendre. En effet, cette capacité est également une donnée déterminante. Le but est donc de tester que la nature du contexte doit être considérée et cela dans quel (s) sens, l’intérêt porte sur le fait qu’aucune catégorisation n’est faite quant aux lecteurs.

Nous formulons l’hypothèse de travail selon laquelle la compréhension d’une phrase est fonction des effets du contexte, notamment de sa nature. Pour cela, nous nous attendons à ce que :

  • lorsque le contexte est fort ; c’est-à-dire que le mot est clair et renvoie à un sens précis ; les participants aient une bonne acceptation qui se traduit par des temps de réaction courts ; et
  • Lorsque le contexte est faible ; c’est-à-dire que le mot est ambiguë et plusieurs acceptions sont possibles ; les participants aient une mauvaise acceptation qui se traduit par des temps de réaction longs.


2. Méthodologie
2.1. Participants

Tous les participants sont des étudiants de l’Université Omar Bongo (UOB) inscrits au moment de l’étude dans le parcours Licence, c’est-à-dire en L1, L2 et L3. Il n’y a pas eu de critère de sélection particulier pour ces derniers. Ils ont été donc pris au hasard. Au total, nous avons travaillé avec 199 étudiants inscrits en Psychologie.


2.2. Le matériel
Tout le matériel a, avant l’expérience, été pré-testé auprès de trente (30) étudiants afin de nous assurer du sens à la fois des homographes et des différentes phrases selon les contextes. Pour cela, l’essentiel du matériel est constitué de trois homographes (courses, champ et entretien) avec différents sens (acceptions = cibles) et des phrases expérimentales selon chaque contexte (contexte fort et contexte faible).
Les homographes retenus et leurs différents sens selon chaque contexte sont les suivants :

  • pour l’homographe Courses : les sens sont Sport pour le contexte fort et Achat pour le contexte faible ;
  • pour l’homographe Champ : les sens sont Terrain pour le contexte fort et Secteur pour le contexte faible ;
  • pour l’homographe Entretien : les sens sont Embauche pour le contexte fort et Nettoyage pour le contexte faible.

Pour l’expérience, nous avons eu recours à ces trois (3) homographes (Courses ; Champ et Entretien), à partir desquels nous avons construit des phrases expérimentales (6). Les deux (2) phrases expérimentales pour chaque homographe ont été construites de sorte que le sens de celles-ci soit donc, soit dans un contexte fort (Fortement inducteur), soit dans un contexte faible (Faiblement inducteur). Chaque phrase et chaque mot cible (acception) des homographes étaient inscrits sur des feuilles de papier. En plus du sens Contexte Fort et Contexte Faible, nous avons eu pour chaque phrase, deux autres cibles associées à savoir : un mot dont le sens n’était pas en lien avec la phrase et un non mot.

En résumé, le matériel, comprenant également celui de la phase d’entraînement, était composé de phrases expérimentales, des mots ou non mots et d’un chronomètre, afin de mesurer les temps mis par les participants pour l’acceptation ou non du sens des phrases construites autour des homographes selon les mots cibles.


2.3. La procédure
L’expérience était individuelle. Elle s’est déroulée pendant plusieurs jours au sein du Centre de Recherches et d’Etudes en Psychologie (CREP). Elle a duré en moyenne 12 minutes.

Les participants ont été reçus individuellement. Avant l’expérience proprement dite, il y a eu une phase d’entrainement. Ainsi, une fois installé, la consigne a été donnée à chaque participant. Il lui a été demandé de lire chaque phrase et de signifier la fin de sa lecture. Ensuite, il devait dire si oui ou non, le mot présenté (la cible) correspondait au sens de la phrase lue. Les temps de lecture et de réponse ont été mesurés. Les phrases ont été présentées selon un ordre de contrebalancement (Voir annexes), afin de contrôler l’effet de succession des phrases.

Autrement dit, la tâche des participants a été de lire les différentes phrases et dire si OUI ou NON, le mot présenté correspond au sens de la phrase lue selon la consigne suivante : « Pour l’expérience que vous allez passer, il est question de lire différentes phrases. A la fin de la lecture de chaque phrase, je vous présenterai un mot et vous devez dire si oui ou non ce mot correspond au sens que vous donnez à la phrase que vous venez de lire, et s’il-vous- plait, répondez le plus rapidement possible ».


3. Présentation et analyse des résultats
L’analyse des résultats a été faite selon le plan d’expérience suivant : S199٭C2, (où S correspond à sujet aléatoire (facteur) donc 199 sujets et C correspondant au facteur expérimental qui la variable indépendante : le contexte avec les deux contextes à savoir le contexte fort et le contexte faible) ; et l’Anova a été utilisée comme test statistique pour tester nos hypothèses. Nous avons eu ainsi pour variables dépendantes : l’acceptation OUI/NON et le temps de réaction (ms).


3.1. Acceptation des cibles (Scores)

3.1.1. Analyse globale
De façon générale, l’analyse indique un effet principal significatif de la variable contexte [F (1-795) = 37,94 ; p < .05] sur l’acceptation des différentes cibles. Autrement dit, selon le contexte dans lequel est présentée la cible (Contexte fort vs contexte faible), l’acceptation n’est pas la même. Les acceptations ne sont donc pas égales. L’acceptation en contexte fort (M = 0,60) est supérieure par rapport à celle du contexte faible (M = 0,39). Néanmoins, qu’en est-il de la cohérence ou pas au sein de chacun de ces contextes ?


3.1.2. Acceptation selon chaque contexte (Fort et faible)
Ici, l’analyse indique également un effet principal significatif de la variable cohérence [F (1-795) = 306,43 ; p < .05] sur l’acceptation des différentes cibles. Autrement dit, lorsque le contexte (Fort ou faible) est cohérent avec la cible présentée, cela facilite la réponse des sujets (bons scores) que lorsque le contexte et la cible sont moins en résonance (scores moins bons).

En contexte fort, l’analyse descriptive des résultats nous permet de confirmer l’Anova et donc de constater une différence au niveau de la moyenne d’acceptation des cibles. Ainsi, lorsque la cible est cohérente avec le contexte, la moyenne (M = 0,92) est supérieure à 0,29 (M = 0,29), ce qui correspond à la moyenne d’acceptation lorsque la cible et le contexte ne sont pas cohérents.

En contexte faible, l’analyse descriptive des résultats indique également une différence au niveau de la moyenne d’acceptation des cibles. Lorsque la cible est cohérente avec le contexte, la moyenne (M = 0,63) est supérieure à la moyenne d’acceptation lorsque la cible et le contexte sont incohérents (M = 0,16).


3.2. Temps de réaction (temps d’acceptation des cibles)

3.2.1. Analyse globale
L’analyse indique un effet global non significatif de la variable contexte [F (1-795) = 0,12 ; p = .72] sur les différents temps de réponse d’acceptation des cibles. Ainsi, selon le contexte dans lequel est présentée la cible, les différences de temps d’acceptation observées ne sont pas significatives. Il n’y a donc pas de différence de temps qui soit liée au contexte dans lequel serait présenté un homographe. Nous avons aussi voulu savoir ce qu’il en était de l’effet du contexte sur la cohérence.


3.2.2. Temps d’acceptation selon chaque contexte (Fort et faible)

En contexte fort, l’analyse descriptive des temps de réaction nous permet de constater une différence selon la cohérence ou non entre le contexte et la cible. Lorsqu’il y a cohérence entre le contexte et la cible, le temps moyen de réaction (M = 197,5 ms) est moins important que lorsqu’il y a incohérence entre le dit contexte et la cible (M = 209,34 ms).

En contexte faible, l’analyse descriptive de ces temps de réaction indique également une différence selon la cohérence ou non entre le contexte et la cible. Pour cela, lorsqu’il y a cohérence entre le contexte et la cible, le temps moyen de réaction (M = 203,7 ms) est aussi moins important que lorsqu’il y a incohérence entre le contexte et la cible (M = 211,1 ms).

Toutefois, par le biais d’une Anova, l’analyse indique un effet global non significatif de la variable cohérence [F (1-795) = 0,92 ; p = .33] sur les différents temps de réponse d’acceptation des cibles. Ainsi, comme avec le contexte dans lequel est présentée la cible, l’existence de cohérence ou pas, c’est-à-dire la force du lien entre le contexte et la cible ne permet pas, sur le plan statistique de constater des différences au niveau des temps d’acceptation. Les différences constatées au niveau des moyennes ne sont donc pas significatives.


4. Interprétation et discussion
Cette étude avait pour but de tester si le contexte dans lequel était présenté un mot, déterminait l’émergence du sens de celui-ci. Autrement dit, la question était celle de savoir si la sélection du sens d’un mot était fonction du contexte et de la congruence entre ledit contexte et le mot présenté.

Pour répondre à cette question, nous sommes parti de deux théories : les théories modulariste et interactionniste. Fort des conceptions propres à ces deux théories, nous avons élaboré un matériel expérimental, pré-testé et testé, de telle sorte que les deux acceptions d’un mot (homographe) soient traitées de façon équivalente.

Si les résultats obtenus, s’agissant du temps d’acceptation, montrent qu’il n’y a ni effet du contexte ni effet de la cohérence, ceux obtenus sur le plan de l’acceptation elle-même vont dans le sens de nos attentes. Le contexte dans lequel est présenté l’homographe donne lieu à des traitements cognitifs distincts même si le coût de ces traitements semble être identique. En effet, les participants sont sensibles à la force du contexte sur l’activation du sens des homographes. Non seulement, il y a un effet du contexte (Fort vs faible) ; mais cet effet est plus marqué lorsqu’il y a congruence à l’intérieur de chaque contexte que lorsqu’il y a absence de congruence.

Le mot, le sens d’un mot est donc une entité dynamique dans la mesure où il découle de l’environnement dans lequel il est présenté. La théorie modulariste soutient le contraire. Toutefois, fort de cette étude, nous pensons que comme le soutient J.-F. Le Ny (2005), la signification d’un mot renvoie à des concepts, à des catégories ; les mots constituent une forme de connaissance qui n’est pas statique de par leur contenu. Par ailleurs, J.-F. Le Ny (op. cit.) soutient que les concepts qui permettent de définir les mots ont une propriété fondamentale, c’est leur « extension ». Cette extension fait référence ici au contexte dans lequel est présenté le mot et donc, qui permet de donner une signification. En effet, au-delà des concepts auxquels ils renvoient, les mots sont en quelque sorte déterminés par le contexte, dans le sens où il intégrerait les conditions de lecture, de compréhension, les structures et les connaissances du lecteur ; les lecteurs étant différents les uns des autres.

En outre, selon cet auteur, ces significations peuvent également avoir une charge affective. L’environnement, nos ressentiments, notre état affectif à tel ou tel moment donné sont autant de facteurs susceptibles de faire varier la signification que nous accordons à un mot.

Si ces résultats montrent et permettent de décrire dans une certaine mesure les structures et les processus mis en œuvre lors de l’émergence du sens d’un mot, cela suppose une connaissance du fonctionnement cognitif. Ainsi, s’il est possible de penser ou de soutenir que la conscience du sens d’un mot est automatique (J. François, G. Denhière, op. cit. ; D. Swinney, op. cit. ; R. E. Till et ali., op. cit. ; W. Kintsch, op. cit.), l’idée qui se dégage en résumé est celle d’une conscience stratégique. Le sens émerge alors de systèmes non imperméables, non indépendants mais capables de tenir compte des informations provenant d’autres systèmes, et cela à tout moment (P. N. Johnson-Laird, op. cit. ; J. François, G. Denhière, ibidem. ; P. Tabossi, L. Colombo, R. Job, op. cit. ; P. Tabossi, F. Zardon, op. cit.).

Effectivement, dans le cadre des travaux en psychologie cognitive, l’émergence du sens d’un mot fait référence à l’activation de plusieurs nœuds sémantiques. On parle ainsi de représentations sémantiques et de leurs contenus. La congruence peut être source d’activation alors que l’incongruence source d’inhibition selon les contextes. Il est par exemple possible de connaître un mot, en avoir déjà entendu parler mais ne pas connaître ce qu’il signifie. Ainsi, dans le cas de notre étude, le contexte serait un cadre qui permettrait de comprendre le sens du mot dont on ignore la signification. Néanmoins, le fait que les temps d’acceptation des cibles ne présentent pas de différence significative est étonnant. A ce niveau, l’idée théorique est que le « temps inducteur » et celui « inhibiteur » ou « non facilité » soient différents.


En définitive, bien au-delà de l’architecture de la mémoire ou du langage (G. Kellas, S. T. Paul, H. Vu, 1995 cités par F. Mounguengui, op. cit.), nous sommes en total accord avec J.-F. Le Ny (op. cit.) du fait que pour lui, le sens, la signification d’un mot, ou d’une phrase est une entité dynamique qui n’existe en réalité nulle part. Dans les cognitions de l’homme, nous avons des référents (concepts, catégories, attributs, …) qui, une fois au contact de chaque situation, donne une signification, un sens. Le Ny (idem) affirme alors que la signification des mots n’est pas une « réalité » comme les autres. Le sens émerge d’une interaction entre le contexte, les connaissances et bien d’autres entités.

Toutefois, bien que certains bémols puissent être faits, c’est le cas d’ailleurs avec les temps d’acceptation qui ne montrent aucune différence ou encore le fait que les résultats obtenus puissent être confirmés sur un nombre plus important d’homographes et même de participants, les résultats de cette étude font apparaître la nécessité de considérer la force d’induction du contexte. Cela pourrait davantage paraître nécessaire et pertinent lorsque l’on veut s’intéresser au processus d’inhibition, sachant également que la piste des âges, avec l’évolution et l’involution des processus mnésiques, reste pertinente (J. Piaget, 1968) ou même le fait que ce qui est activé dans le cas de la théorie modulariste, pourrait dépendre du niveau d’expertise, de connaissances des participants.

Les théories modulariste et interactionniste sont plutôt complémentaires. Si comme nous venons de le voir, nous pensons plutôt que le sens est émergent, dynamique et que cette dynamique est fonction du contexte, la mémoire, les représentations et les processus à la base impactent indéniablement cette émergence. Ce qui émerge dépend de la liste exhaustive des sens. L’émergence du sens ici serait donc après l’activation, une adaptation du sens au contexte, ce qui ôterait alors l’ambiguïté du mot. L’idée du rôle du contexte dans la sélection du sens serait pour nous, une synthèse entre modulariste et interactionniste.


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Pour citer cet article :
Faustin Mounguengui, Jacques Mbadinga, Thierry Wilfried Mombo, « La compréhension d’une phrase. Effets du contexte phrastique », Revue Oudjat en Ligne, numéro 1, volume 2, janvier 2018.

ISBN : 978-2-912603-96-8.

 

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[Numéro ISSN : 3005 - 7566]